mercredi 28 mai 2025

Plus noir que noir, Stephen King



 

Couverture de Plus noir que noir de Stephen King

                                                            

✍️ "Le livre est un miroir. Si un âne se regarde dedans, il ne peut pas s’attendre à y voir un apôtre". (Georg Christoph Lichtenberg)



📌Douze nouvelles pour franchir la porte du monde de Stephen King : Plus noir que noir, un recueil intense et accessible.

Mon immersion dans les ténèbres : une première rencontre avec Stephen King à travers Plus noir que noir

Pour quelqu’un qui, comme moi, a déjà eu un aperçu de l’univers de Stephen King à travers une seule lecture, il y a longtemps, mais n’a jamais osé s’aventurer plus loin dans son œuvre, auréolée de sa réputation de maître absolu du genre, la sortie française de "Plus noir que noir" aux éditions Albin Michel en 2025 représentait une occasion idéale.

L’idée d’un recueil de douze nouvelles par un auteur aussi prolifique suscitait à la fois une certaine appréhension et une vive curiosité. Allais-je être immédiatement plongé dans un univers trop sombre pour un lecteur encore novice dans ce court format chez cet auteur ? Ou découvrirais-je, au-delà de la "peur" de cette nouvelle entrée, une richesse narrative insoupçonnée ?

Diversité des atmosphères et richesse narrative

Dès les premières pages, ce qui frappe, c’est la diversité des atmosphères et des thèmes abordés. Loin de se cantonner à un seul type d’horreur, Stephen King explore différentes facettes de la noirceur, qu’elle soit surnaturelle, psychologique ou ancrée dans le quotidien.

Cette variété constitue, pour un quasi nouveau lecteur de Stephen King, un atout majeur. Elle permet de découvrir l’étendue de son talent et de ne jamais s’ennuyer, même si certaines histoires résonnent plus que d’autres.

Bien que n’ayant aucune base de comparaison solide avec ses autres écrits, mon expérience de lecture de "Plus noir que noir" s’est révélée captivante et m’a donné un aperçu de la capacité de l’auteur à manier différents genres au sein d’un même recueil.

L’hétérogénéité des récits, allant du fantastique pur à des explorations plus ancrées dans la réalité humaine, rend ce livre particulièrement accessible à ceux qui hésitent à se plonger dans l’univers de Stephen King par crainte d’une horreur trop uniforme.

"Le mauvais rêve de Danny Gauglhy" : un récit marquant

Parmi ces douze récits, Le mauvais rêve de Danny Gauglhy (Danny Coughlin's Bad Dream) a particulièrement retenu mon attention. Plus long que les autres nouvelles, frôlant le format de la Novella, ce récit nous plonge dans le cauchemar vécu par Danny Coughlin, un concierge de lycée qui fait un rêve prémonitoire d’un meurtre et se retrouve, après avoir signalé sa découverte, suspecté par la police.

L’engrenage implacable dans lequel Danny est pris, malgré son innocence, m’a tenu en haleine. Cette histoire m’a étrangement rappelé "La Promesse" (¹) de Friedrich Dürrenmatt (²). Bien que les contextes soient différents, on retrouve dans les deux œuvres ce thème d’une quête de vérité ou de justice qui vire à l’obsession, face au doute et à la pression sociale.

Dans "La Promesse", le commissaire Matthias s’engage sur son honneur à retrouver l’assassin d’une enfant et cette promesse le consume. De même, dans Le mauvais rêve de Danny Gauglhy, l’acharnement du détective Jalbert à vouloir prouver la culpabilité de Danny fait écho à cette obstination.

L’atmosphère dans les deux récits est également pesante et troublante, où la frontière entre la réalité et la perception des personnages devient floue. Une forme de mélancolie, voire de tragédie, se dégage de ces deux histoires, où la conviction des protagonistes a un coût personnel élevé.

Ainsi, même pour un lecteur novice de Stephen King, la puissance du thème de l’accusation injuste et de l’obsession se révèle universelle.

Profondeur métaphysique et symbolisme

Au-delà de cette histoire particulièrement marquante, en prenant le temps de laisser infuser ces récits, j’ai commencé à percevoir des motifs plus subtils.

J’ai beaucoup aimé aussi Laurie ainsi que L’Homme aux réponses.

Il ne s’agissait plus seulement de l’horreur immédiate, mais de la façon dont Stephen King utilisait l’espace, les idées métaphysiques et même la narration elle-même pour créer une expérience de lecture plus riche.

J’ai été frappé par la manière dont les lieux dans Plus noir que noir ne sont pas de simples décors. Ils semblent souvent porter un sens symbolique qui enrichit l’histoire. Par exemple, dans Écran rouge, les écrans rouges des iPhone ne sont pas de simples objets technologiques, mais deviennent le signe tangible d’une intrusion angoissante de l’inconnu dans le quotidien.

La station-service abandonnée dans Le mauvais rêve de Danny Gauglhy évoque un sentiment de déclin et de secrets enfouis.

Même Central Park dans La Cinquième Étape, bien que lieu de rencontre, porte en lui une tension liée à la vulnérabilité des personnages.

Ces détails prennent une dimension symbolique, représentant peut-être l’intrusion de l’inconnu dans notre quotidien ou des états émotionnels profonds.

Ces espaces ne sont pas seulement des décors, ils paraissent poser des questions plus profondes.

Le mauvais rêve de Danny Gauglhy nous confronte à l’idée de rêves prémonitoires et du destin.

Des histoires comme Finn et L’Homme aux réponses explorent le rôle de la chance et du destin dans nos vies.

J’ai eu l’impression que, sans donner de réponses faciles, Stephen King nous invitait à réfléchir à ces questions métaphysiques.

En réalité, sous le prétexte de l’horreur, voire du fantastique, Stephen King déploie une riche trame métaphysique et symbolique pour délivrer ses messages.

J’ai particulièrement apprécié cette profondeur, tout comme l’utilisation de la métafiction qui, par ses clins d’œil et ses mises en abyme, sert admirablement ces aspects.

De même, la mention de notes en italique à la fin de certaines nouvelles, comme la référence à Flannery O’Connor après Sur la route de Slide Inn, m’a semblé être une façon de souligner les influences littéraires et de rappeler que ce que je lisais était une construction.

La découverte de ces éléments – les espaces symboliques, les questions métaphysiques et ces clins d’œil métafictionnels – a vraiment enrichi ma lecture. Cela m’a montré que Stephen King ne se contente pas de raconter des histoires pour faire peur. Il utilise le genre pour explorer des thèmes plus complexes et pour nous faire réfléchir sur le monde qui nous entoure et sur la nature même de la fiction.

Conclusion : une porte d’entrée réussie

Cette première incursion dans ce court format de l’univers de Stephen King a été une expérience très positive.

Loin de me rebuter, elle a au contraire éveillé en moi le désir de découvrir d’autres facettes de son œuvre.

Ce recueil de nouvelles s’est révélé être une excellente porte d’entrée, offrant un aperçu de la richesse de son imagination et de sa capacité à explorer différents aspects de la nature humaine à travers le prisme du fantastique et de l’horreur.

Je recommanderai sans hésiter Plus noir que noir à quiconque souhaiterait découvrir l’univers de Stephen King sans se sentir submergé par l’ampleur de certains de ses romans.

📖 Chronique rédigée par Michel BLAISE – © 2025 - Le Lecteur Impertinent


1 - Cliquez sur le titre du livre, (lien Solal overlog) vers un blog relatif à la promesse extrêmement intéressant,

2 - Chronologie : vie et œuvre de Friedrich Dürrenmatt





lundi 26 mai 2025

Toutes les nuances de la nuit, Chris Whitaker

 


« couverture du roman Toutes les nuances de la nuit se déroulant dans le Missouri »





"L'homme semble prédestiné au mal. En même temps, il est libre. Comment concilier libre arbitre et prédestination ?"  Anthony Burgess

Un roman qui dépasse les codes du polar

"Toutes les nuances de la nuit", de Chris Whitaker, publié chez Sonatine en 2025, dépasse largement les codes du roman policier. C'est une œuvre qui va bien au-delà d'une simple enquête, une fresque humaine et sociale qui traverse les générations et explore les tréfonds de l'âme avec une intensité rare.

Une disparition qui bouleverse une communauté

L'histoire commence dans une petite ville des Ozarks, Monta Clare, où le jeune Patch (Joseph) McCauley disparaît après avoir tenté de sauver son amie Misty.

Enfermé dans l'obscurité, il partage son calvaire avec une mystérieuse Grace, qu'il ne voit jamais, mais dont il garde une empreinte indélébile. Lorsqu'il est libéré, grâce à la détermination de Saint, son amie fidèle, il n'a qu'une obsession : retrouver Grace.

Mais cette quête s'étend sur des décennies et révèle les zones d'ombre d'une communauté rongée par ses secrets.

Une écriture immersive et puissante

Dès les premières pages, j'ai été saisi par l'écriture de Chris Whitaker. Il a ce talent rare de construire une intrigue dense, où chaque détail compte.

Par moments, j'ai eu l'impression de longueurs, comme si l'auteur s'attardait sur des descriptions minutieuses à la manière de Balzac ou Proust (au demeurant, auteurs très appréciables), mais en refermant le livre, j'ai compris que tout faisait sens.

Chaque élément, chaque digression, chaque dialogue construit une architecture narrative magistrale, où rien n'est laissé au hasard.

Une réflexion philosophique profonde

Ce que j'ai également beaucoup aimé, c'est la profondeur philosophique du roman : Chris Whitaker explore avec une finesse remarquable la distinction entre libre arbitre, déterminisme et volonté divine, une réflexion qui rappelle Kant et Spinoza.

Les personnages sont souvent confrontés à des choix qui semblent dictés par leur passé, leur environnement ou des forces extérieures, et cette tension entre liberté et causalité traverse tout le récit.

L'ouvrage interroge aussi la volonté divine et la fatalité, un thème cher à Kierkegaard, qui voyait dans l'angoisse existentielle une forme de confrontation avec la foi et le destin.

Patch, dans sa quête de Grace, parais lutter contre une réalité chaotique, ce qui évoque Camus et sa vision de l'absurde.

Quant à Saint, par sa détermination et son refus d'abandonner, elle incarne une forme de dépassement de soi qui évoque Nietzsche et sa volonté de puissance.

Mais attention, il ne s'agit pas d'un manuel de philosophie, loin de là. Il est tout à fait lisible, même s'il demande une certaine exigence — d'une part par sa longueur, et d'autre part par la richesse de son écriture.

Des personnages d'une rare intensité

Et puis, il y a les personnages, ah les personnages ! Tous incroyablement travaillés. Patch, Saint, mais aussi les figures secondaires, qui ne sont jamais reléguées à de simples rôles d'accompagnement.

Chacun est un roman à lui seul, avec ses failles, ses contradictions, ses éclats de lumière et ses zones d'ombre.

La fille de Patch, par exemple, apporte une touche de vivacité et d'humour, avec des dialogues d'une intelligence mordante. À cet égard, Chris Whitaker ne néglige jamais l'humour, mais il l'intègre avec subtilité, comme une respiration dans cette fresque intense.

Une construction narrative minutieuse

L'un des éléments également marquants du roman est son arc narratif, qui repose sur une construction minutieuse et une évolution des personnages parfaitement maîtrisée.

L'auteur ne se borne pas à raconter une histoire : il la façonne, en laissant ses personnages grandir, changer, se transformer sous nos yeux.

Patch, marqué à jamais par son passé et son œil borgne — stigmate de son combat et de sa survie — n'est plus le même homme au fil des années.

Saint, elle, intègre d'abord la police locale avant de rejoindre le FBI, tandis que Patch évolue dans son comportement, porté par les épreuves qu'il traverse et les choix qu'il fait.

Cette évolution, loin d'être artificielle, s'intègre naturellement à l'intrigue, renforçant la cohérence du récit et son impact émotionnel.

Une maîtrise totale de l'intrigue

Contrairement à certaines critiques qui évoquent, ici ou là, une part d'incertitude dans l'intrigue, je trouve que tout est parfaitement maîtrisé.

Certes, l'interprétation peut varier selon les sensibilités, mais Chris Whitaker ne laisse pas de place au flou : il sait où il nous emmène, et il nous y conduit avec une précision implacable.

Un roman qui embrasse de nombreux thèmes

"Toutes les nuances de la nuit" est un roman qui aborde des sujets forts :

Le féminismeL'avortementL'homosexualitéL'amitié et la fidélitéLe deuil

Il ne se contente pas de les effleurer, il les incarne, à travers des personnages qui vivent ces réalités avec une intensité brute.

Une œuvre marquante et inoubliable

Si je devais lui trouver un défaut, ce serait peut-être cette impression de lenteur, à certains moments, accolée à des fulgurances.

Mais là encore, une fois la dernière page tournée, on comprend que cette lenteur était nécessaire, qu'elle servait à construire une œuvre qui ne se contente pas simplement de nous divertir, mais qui nous marque profondément.

Parce que, oui, il y a des romans qui marquent, qui laissent une empreinte bien après qu'on a tourné la dernière page. "Toutes les nuances de la nuit" est de ceux-là.

Si je devais donner une note, elle dépasserait les cinq étoiles. Mais tout cela ne veut rien dire.

Chris Whitaker signe ici une œuvre majeure, nécessaire et indispensable ; un roman qui restera gravé en moi pour toujours.

Une conclusion puissante et émouvante

Je note en conclusion que les personnages évoluent souvent sur une ligne jaune, flirtant avec des choix discutables, mais jamais condamnables.

On ne peut s'empêcher de les comprendre, de les suivre, et même de les aimer, malgré leurs failles.

Et puis, il y a cette fin, une conclusion surprenante et profondément émouvante.

Ne vous arrêtez pas aux critiques négatives — je comprends que certains aient pu être déroutés, mais peut-être qu'une deuxième lecture leur permettrait de découvrir toute la richesse du texte sous un autre angle…

📖 Chronique rédigée par Michel BLAISE – © Le Lecteur Impertinent