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mercredi 4 juin 2025

L'amant Russe, Gilles Leroy





Couverture de l'Amant russe de Gilles Leroy, édition originale 2002, MERCURE DE FRANCE (fond bleu uni)

 


"Combat le diable avec cette chose que l'on appelle l'amour"(Bob Marley)

📌 L'amant russe L'amour comme acte de résistance ?


√ Une rencontre clandestine sous le vernis soviétique

Publié en 2002 chez Mercure de France, "L'Amant russe" de Gilles Leroy est un récit que je n'ai pas refermé sans un certain trouble. Pas un grand choc, pas une émotion débordante, mais cette sensation rare d'avoir traversé une histoire à la fois simple et dense, qui continue d'habiter longtemps après la dernière page.

Un jeune Français, seize ans, part en URSS dans le cadre d'un voyage militant, dans cette Leningrad de l'époque soviétique où les façades sont monumentales, mais les regards souvent fuyants.

Ce qui devait être une immersion politique devient rapidement autre chose : une traversée de soi, une première secousse du désir, un ébranlement discret, mais décisif.

√ Volodia, l'homme-fantôme : silence, désir et retenue

Là-bas, il rencontre Volodia. Un Russe plus âgé (27 ans), technicien ou ingénieur, c'est difficile à cerner, silencieux, presque fuyant. il incarne ce que le narrateur découvre à peine : la peur, la retenue, le poids d'un régime qui ne pardonne ni l'écart ni la vérité.

📌 Ce roman aurait pu s'écrire autrement. Il aurait pu tomber dans la facilité du récit d'initiation sensuel ou des clichés sur l'homosexualité interdite en pays totalitaire. Il ne le fait jamais.

Et c'est là que réside toute sa force. Gilles Leroy choisit la pudeur. Il choisit les silences, les gestes interrompus, les pensées retenues. L'amour n'y est jamais crié, encore moins revendiqué. Il se devine, il se sent parfois, il se tait. Il y a dans ce texte une manière très fine d'aborder le corps et le désir sans jamais en dire trop. Les mots employés sont toujours du côté de l'évocation, jamais de la crudité.

√ Une prose fine et musicale : l'art du demi-ton

Ce qui m'a particulièrement retenu, c'est cette langue — très travaillée, mais sans effet de manche. Une prose tendue, presque poétique, où chaque phrase semble porter un poids affectif, une tension invisible.

C'est un chant discret, une musique en sourdine. Une lecture exigeante, sans doute. Il faut de temps en temps relire certains passages pour en capter la finesse. Mais ce n'est jamais une lourdeur. C'est un rythme à accepter, à suivre.

📌 Un roman à apprivoiser, comme Volodia lui-même : il ne se livre pas d'un coup. Il faut attendre, rester, regarder.

Les personnages secondaires sont là, mais toujours en marge. Tatiana, Irina, François… Ils dessinent le décor, soulignent les lignes de tension, mais c'est entre le narrateur et Volodia que se joue l'essentiel. Une relation étrange, hésitante, jamais clarifiée. Ont-ils été amants ? Peut-être. Mais ce n'est pas la question. Ce qui compte, c'est ce qui circule entre eux : cette attente, cette retenue, ce presque.

√ L'amour comme fragment politique

Volodia, c'est l'homme qui se fait attendre, qui se dérobe, probablement par peur, sûrement par fidélité à un silence qu'on lui a appris dès l'enfance. Il n'est pas là pour combler un désir : il en révèle l'absence, le manque, la fragilité. Et c'est en cela qu'il reste inoubliable. Pas pour ce qu'il fait. Pour ce qu'il ne peut pas faire.

Il y a aussi dans ce roman quelque chose de plus vaste : un regard politique, mais discret, sur l'URSS. La remarque sur le livre de Sartre interdit, la surveillance omniprésente, les gestes étouffés… Tout cela est suggéré, jamais démontré. L'amour y devient quasiment un acte de résistance, une manière d'exister envers et contre tout.

Ce n'est pas un pamphlet, ni une dénonciation. C'est plus subtil : c'est le portrait d'un monde dans lequel l'intime est menacé, où l'on apprend très jeune à cacher ce que l'on est. Et dans ce cadre, l'histoire racontée prend une ampleur singulière. On comprend peu à peu que l'interdit ne vient pas seulement du régime : il vient aussi de la honte, de l'habitude du silence, de l'impossibilité d'habiter son propre corps.

√ Une fin suspendue, comme un dernier regard

La fin, d'ailleurs, est à l'image du reste. Rien n'est tranché. le narrateur quitte la Russie, Volodia reste. Il y a un train, un quai, un moment suspendu. On ne sait pas ce qui les attend, ni ce qu'ils se sont réellement dit. Mais il reste quelque chose de cet été-là. Une fracture douce, une mémoire physique. Et peut-être une forme d'amour — mais sans nom, sans statut, sans avenir assigné.

📌 Je recommande vivement ce livre splendide, à mon sens bien supérieur à Alabama Song — du même auteur — pourtant couronné par le prix Goncourt en 2007.

📖 Chronique rédigée par Michel Blaise – © lecteur impertinent



vendredi 3 juillet 2020

La patiente, Jean-Philippe Mégnin


Intrigue psychologique - homosexualité


« C'est dès le premier échange de regards que je compris que ce ne serait pas une patiente ordinaire… ». C'est ainsi que débute le roman de Jean-Philippe Mégnin, « la patiente ».


Lorsque Vincent, gynécologue, introduit une patiente habituelle dans son cabinet, il remarque, dans la salle d'attente, la présence d'une femme, totalement inconnue, sans aucune expression sur le visage, attendant patiemment son tour.


À cet instant, Vincent comprend que la consultation suivante ne sera pas comme les autres et que, sans nul doute, sa vie est sur le point de basculer. Il est saisi d'un sentiment inexprimable, d'un mauvais pressentiment ; durant, toute la consultation qui précède, il est transi de peur.
Son instinct était juste ; la séance ne fut pas ordinaire avec La Patiente, Camille.


À la fin de la visite, avant de quitter le cabinet, Camille se retourne et pose cette seule question à Vincent :

« Gynécologue, c'est un choix professionnel un peu étrange, pour un homosexuel, non ?


Lors de sa parution en 2010, aux éditions le Dilettante, le livre de Jean-Philippe Mégnin « la patiente » fut brièvement mentionné par François Busnel sans La Grande Librairie. C'est un petit ouvrage de 157 pages, mais débordant de qualité - l'écriture, naturellement -, distrayant par son intrigue - quoiqu'il ne soit pas question un instant de roman policier – et très riche d'enseignements socio-psychologiques.


Il n'appartient pas au genre de la nouvelle ; il s'agit d'un roman. Toute comparaison gardée évidemment, on est frappé par l'ambiance, contemporaine, propre aux meilleurs nouvellistes à l'image, par exemple, de Guy de Maupassant, par la volonté d'une mise en perspective, dans un récit simple et concis, de tout un univers sociologique, psychologique ou encore géographique. Jean-Philippe Mégnin est saisissant d'esprit d'observation et d'analyse.


À travers une intrigue psychologique finement menée, l'auteur aborde divers sujets tels que l'Amour, la fidélité, la famille, la culpabilité. Mais ce qui est remarquable et que l'on retient en définitive au-delà de l'anecdote, c'est, peut-être, celui du sens de la vie et, plus particulièrement, de nos actes. de la propension de l'Homme à se comporter bien ou mal, étudiée par les plus grands philosophes (KantNietzsche, notamment), de considérer l'amour comme un acte altruiste ou égoïste par essence.


Il s'agit d'une vaste question que soulève l'auteur dans ce roman, celle de l'Amour : l'Amour désintéressé ou bien égoïste à l'instar de Narcisse qui vit son reflet dans l'eau d'une source et tomba amoureux de sa propre image et se suicida par suite de cette révélation ?


Est-ce à dire que Camille est condamnée à se suicider ? Il est difficile de répondre ici à cette question car d'autres sont abordées dans le roman dont je conseille vivement la lecture. Il offre une réflexion très intéressante sur bien des interrogations.


Bonne lecture.

Michel.

lundi 28 octobre 2019

Le désir du cannibale, Jean-Paul Tapie






                                         Homosexualité - vengeance 



Voici la recette parfaite pour "s'approprier", par-delà la mort, "l'objet" de tous ses tourments "passant le plus clair de son temps au lit des femmes" (1).


J'ai lu 10 fois, 20 fois peut-être, le roman de jean-Paul Tapie, aujourd'hui non réédité. Si les plus méprisables aptitudes humaines y sont subtilement décortiquées, la chute de cette fiction les porte à leur paroxysme.


Rarement un livre, loin de l'Oeuvre Littéraire, bien écrit toutefois, n'a, à ce point, suscité en moi autant de questions, d'émotions , de souvenirs et, parfois même d'espoir...

Michel BLAISE © 2019


1 ) référence aux paroles du texte de Charles Aznavour"comme ils disent".

lundi 1 avril 2019

"Septembre", Jean Mattern

 

               


Nous sommes au mois de septembre 1972, les jeux olympiques se tiennent en Allemagne de l’Ouest. Le narrateur, Sébastien – marié et jeune journaliste – est dépêché à Munich par les BBC pour effectuer un reportage d’avantage culturel que sportif. Il croise à cette occasion le regard sombre et ténébreux de Sam Cole, journaliste israélite, pour le compte d’un journal américain. 

"Je le vis, je rougis, je palis à sa vuese serait ainsi exprimée « Phèdre », dans son éblouissement passionnel.

Est-ce une rencontre qui offre à Sébastien l’opportunité de se révéler à lui-même, ou s’agit-il de l’affranchissement intime et frénétique du narrateur lié à une actualité tout aussi violente quand une organisation palestinienne prend en otage et assassine onze athlètes de la délégation israélienne ?

À cet instant, l’histoire chavire. L’horreur conduira-t-elle les protagonistes à connaitre également un "septembre noir" 2 ?

À l’automne de sa vie, Sébastien, réconcilié avec lui-même, restitue, sous la plume de Jean Mattern, ce récit /ce roman ?, empreint de sentiments – peut être encore confus, mais délicieusement nostalgiques.

Jean Mattern, né en 1965, vit à Paris. Marié, il travaille dans le monde de l'édition.

"septembre", publié aux éditions Gallimard en 2015, n'est pas son premier roman : "Simon Weber", "le bleu du lac", "de la perte et autres bonheurs", "de lait et de miel", "les bains de Kiraly"… sont autant de pépites de Mattern.

À noter que paraîtra, au mois d'août 2019, son nouveau roman : "une vue exceptionnelle". En attendant est programmé, du vendredi 3 mai au dimanche 5 mai 2019, "Jean Mattern & Conor O'Callighan" au festival livres et musiques à Deauville. L'Irlande sera mise à l'honneur à cette édition.

Dans "septembre", Jean Mattern fait le choix de distiller les faits et les situations, suscitant l'éternelle question : le roman est-il une œuvre d'imagination ou/et également de souvenirs mêlés, en même temps ? Je reste persuadé que "l'intrigue" est souvent l'aboutissement de la rencontre des deux.

Est-ce à dire que "septembre" est une œuvre autobiographique ? On serait tenté de le penser et on aurait aimé le croire. Non, évidemment.  En 1972, l'auteur est âge de 7 ans, il dira avoir été déjà très marqué par la violence des événements qu'il ne peut alors comprendre. Bien plus tard, la naissance du livre marquera son désir impérieux d'y revenir.

Tout de suite, il apparaît comme une évidence que Mattern s'est richement documenté pour écrire ce roman. ce qui constitue la toile de fond à une œuvre romanesque empreinte de douceur et de sensibilité, extrêmes dans la difficulté née de la complexité, de la confusion 3et de l'ambiguïté des sentiments quand l'amour et l'amitié se heurtent.

On retrouve dans "septembre" tous les thèmes récurrents à l'œuvre de Mattern : la disparition, la perte de l'être aimé par les circonstances de la vie qui nous échappent (cf. "Simon Weber"), le désir charnel, l'amour et sa complexité…

Sébastien et Sam Cole cheminent exactement et malgré eux dans un "jeu de liaisons dangereuses". L'auteur est brillamment parvenu à leur donner une personnalité abyssale, attachante parfois, mais insaisissable, souvent.

C'est donc un thème encore qui lui est familier qu'explore à nouveau jean Mattern, y ajoutant la nostalgie et le poids du passé. Mais le nouvel émerveillement dans la poursuite de la lecture de son œuvre vient d'une écriture cette fois-ci différente, plus efficace et empreinte d'une tension poussée à son paroxysme.

Ce récit, servi par une langue parfaitement maîtrisée, magistralement orchestré autour d'un fait historique, est un véritable chef-d'œuvre.

Michel BLAISE © 2019


1. Phèdre de Racine, Acte I, scène 3.
2. La prise d'otages des Jeux olympiques de Munich (aussi appelée le massacre de Munich) a eu lieu au cours des Jeux olympiques d'été de 1972 à Munich en Allemagne de l'Ouest. Le 5 septembre 1972, des membres de l'équipe olympique d'Israël ont été pris en otage et assassinés par des membres de l'organisation palestinienne septembre noir. Le bilan de la prise d'otages est de onze membres de l'équipe olympique israélienne assassinés et d'un policier ouest-allemand tué. Cinq des huit terroristes ont été tués, les trois autres capturés. (Source Wikipédia)
3. référence empruntée au récit de Stefan Zweig, "la confusion des sentiments"