jeudi 28 mars 2019

"On est bien peu de chose", Béatrice Rieussec.

                           

                     
          

Sur le mode de la « nouvelle », ce recueil présente 16 « histoires », mettant en scène un ou plusieurs personnages. Il s'agit toujours d'individus banals, de situations ordinaires, mais qui nous ouvrent une fenêtre sur un genre de « comédie humaine » moderne. On y découvre - à un moment ou un autre – un prétexte immédiat, parfois ancien, pour s'identifier à une situation, se souvenir d'une autre, ranimer un sentiment, une perception, une sensation, un bref instant de vie parfois, tout simplement.

« On est bien peu de chose », publié par les éditions de la Rémanence en 2018, est le premier ouvrage connu de Béatrice Repoux – Rieussec, avocate de profession à Lyon.

C'est avec une parfaite maîtrise de l'écriture, un sens du détail faussement simple et anodin que l'auteur parvient admirablement à réussir parfaitement son premier recueil. Sur la forme, une écriture empreinte constamment de musicalité, allitérations et assonances. L'auteur n'usurpe pas les compliments qui lui sont faits : c'est un écrivain digne de ce nom.


Des personnages imprégnés, sublimés, accablés. La première nouvelle « le bouquet » en est une parfaite illustration:lorsque cet employeur, d’un âge avancé, donne rendez-vous à sa jeune secrétaire :

"je me calme, elle s'appelle Clarisse, d'ailleurs la voilà, elle arrive au bout du pont, elle a détaché sa magnifique chevelure flamboyante qui se déploie dans la brise du soir et j'ai juste le temps de balancer mon bouquet (de fleurs) par-dessus le parapet"  (P. 11).

Les personnages – le lien entre ces nouvelles sont conscients de ne pas pouvoir conjurer le cours des choses et des événements.

Lorsque Geneviève (la déroute, nouvelle 2), divorcée, prend véritablement conscience que Bernard a quitté définitivement sa vie, son « voyage » en train chez le notaire pour quelques formalités, la plonge rapidement dans le pathétique de la solitude brusquement ravivée. On retrouve dans ce petit texte, ou finalement tout est dit, l'atmosphère dépeinte dans le nouveau sublime "la parure de Maupassant". (voir, ici)

c'est une vision lucide de la société, de la condition imposée, de l'immutabilité d'un caractère, de la pusillanimité, autant d'écueils qui rendent bien vaine la quête d'une vie meilleure. Une condamnation sans réserve du libre-arbitre.

Certes, de courtes nouvelles, parfois inégales, mais relayant le même propos en donnant ainsi à l'ensemble sa cohérence et sa puissance suggestive.

Toute proportion gardée – car il n'est pas faire injure à l'auteur de lui refuser toute comparaison avec Maupassant, E. BOVE, MALMUD…, mais il est difficile de ne pas songer à ces derniers auteurs en lisant les nouvelles de Béatrice RIEUSSEC.

Merci aux éditions de la Rémanence pour ces quelques heures de bonheur.

Michel BLAISE © F.D.L (fureur de lire)




mardi 26 mars 2019

"Un jour comme les autres", Paul COLIZE


     
                                       
       

Une disparition mystérieuse

Le 14 novembre 2014, à 8 h 30, Éric D’Égide quitte le domicile d’Emily. Puis, il disparaît.

Que cache ce professeur de droit international belge, trentenaire à l’esprit aussi brillant qu’impulsif et imprévisible ? Seule certitude : son véhicule est retrouvé abandonné dans le parking de l’aéroport de Zaventem, alors qu’aucune caméra de surveillance ne l’a vu entrer.

Pour autant, la police est convaincue de son départ précipité et définitif. Pour les enquêteurs, D’Égide a tout abandonné : son travail, ses collègues, et surtout Emily.

Emily

Obsédée par les chiffres et les nombres, jusqu’à la monomanie, elle demeure dans l’incertitude pendant 614 jours. Deux années à ressasser la dernière journée d’Éric, à espérer… En vain.

Quelques lueurs d’espoir naissent pourtant, notamment grâce à un webmaster sulfureux, qui gère un site dédié aux personnes disparues.

Une enquête captivante

Alain Lallemand, journaliste au quotidien d’investigation belge Le Soir, s’intéresse à cette affaire. Secondé par l’inénarrable Fred, il se plonge dans cette disparition. Il a connu Éric par le passé, et sa détermination à élucider ce mystère devient encore plus vive lorsque…

Éric est de retour.

Un roman puissant et maîtrisé

Un jour comme les autres, publié aux Éditions Hervé Chopin, est le quinzième roman de Paul Colize, auteur vivant à Waterloo.

Récompensé par de nombreux prix prestigieux (Prix Landerneau du Polar, Prix Polars Pourpres, Prix Arsène Lupin, Grand Prix de la littérature policière…), Paul Colize est un écrivain aux multiples facettes, dont le travail d’enquête est remarquable.

📖 Quelques œuvres marquantes : ✔ Zanzara → Le journalisme, où apparaît déjà Alain Lallemand. ✔ Un parfum d’amertume → Un polar de détective. ✔ Un long moment de silenceUne enquête historique.

Un roman à la frontière des genres

Difficile d’assigner un genre précis à cet ouvrage : polar, enquête, récit de victime… Mais une chose est certaine : ce roman se situe à la périphérie de la littérature.

Les lettres de Massimo, personnage secondaire, en sont un parfait exemple :

"Ce matin, le lac était enveloppé de cette brume qui apeurait votre chien. Vos visites me manquent. Nos rencontres me comblaient d’un bien-être jusqu’alors ignoré. Je vous revois, vous agitant, passant du rire aux larmes, vous moquant avec attendrissement de mes silences, bousculant sans le savoir mes plus intimes convictions…" Page 175

Une intrigue au service d’une dénonciation

Paul Colize construit une enquête parfaitement maîtrisée, où l’intrigue policière, soumise à la perspicacité du lecteur, n’est qu’un prétexte à une narration plus profonde.

L’auteur dénonce des scandales géopolitiques d’une éclatante actualité, mettant en lumière : ✔ Le rôle des lanceurs d’alerte ✔ Le travail rigoureux des journalistes d’investigation

Paul Colize ne cache rien de la réalité de ses personnages, notamment Alain Lallemand, journaliste au Soir et romancier.

Une écriture d’une rare précision

Avec une maîtrise exceptionnelle de la langue française, Paul Colize nous offre un roman précis et documenté, servi par une intrigue addictive.

L’originalité du récit réside dans sa construction journalistique, inspirée du modèle d’un opéra en quatre actes. Sur plus de 400 pages, l’auteur déroule une trame élaborée sous forme de courts chapitres, qui pourraient constituer un dossier de presse sous forme de puzzle.

Cet ouvrage n’est pas un documentaire, mais bien un roman, destiné à satisfaire le besoin de suspense du lecteur. Et Paul Colize y parvient magistralement.

Des personnages riches et nuancés

Les personnages, principaux ou secondaires, sont profondément travaillés : ✔ Attachants et cocasses → Fred, collègue de Lallemand, et Camille, sa compagne. ✔ Révoltants et inquiétants → Certains personnages liés à l’enquête.

L’auteur leur confère une finesse psychologique remarquable, parfois teintée d’un humour grinçant, qui allège la dramaturgie du récit tout en amplifiant leur personnalité.

Un roman à lire absolument

Je remercie très chaleureusement les Éditions Hervé Chopin de m’avoir permis de découvrir ce dernier récit de Paul Colize, et pour ces quelques heures de bonheur et de délectation à le lire.

📖 Chronique rédigée par Michel BLAISE © F.D.L (Fureur de Lire)