jeudi 7 août 2025

Le barman du Ritz, Philippe Collin


Couverture du roman Le Barman du Ritz de Philippe Collin, illustrant une scène de l'hôtel Ritz pendant l'Occupation


« La sagesse est lâcheté quand elle tolère l'intolérable » — Albert Brie

📌 Un roman au cœur de l’ambiguïté morale

Le Barman du Ritz, de Philippe Colin, publié chez Albin Michel en 2024, place la question du jugement moral à travers le prisme de l’Histoire au centre de son récit. Il était audacieux de consacrer un roman à Franck Maier, barman ashkénaze, resté plus de quarante ans dans ce haut lieu du luxe parisien, le Ritz. Juif dont l’identité était soigneusement dissimulée, ignorée tant par les officiers allemands que par ses collègues français, il devient le témoin discret mais incontournable d’une époque troublée, notamment durant l’Occupation allemande.

Cette immersion originale et réussie permet au lecteur de croiser des figures emblématiques — Sacha Guitry, Arletty, Gabrielle Chanel, entre autres — sans jamais tomber dans le name dropping. Ce n’est pas un catalogue de célébrités mais une plongée feutrée et incisive dans les coulisses du Ritz, où la Wehrmacht a établi son quartier général, où le champagne coule alors que Paris est enchaînée, et où l’ambiguïté morale prend tout son sens.

✓ Entre culpabilité et survie : le dilemme de Franck Maier

Contrairement aux artistes évoqués, dont la posture passive n’empêchera pas le jugement à la Libération par les tribunaux populaires, parfois improvisés des FFI, Franck Maier n’est ni totalement coupable ni complètement innocent. Il fait partie de ces personnages pris dans la nasse de l’Histoire, dont le parcours interroge longtemps après la dernière page. S’il a aidé discrètement des Juifs via un réseau de faux papiers organisé depuis son bar, il n’a pas rompu ses relations polies — voire amicales — avec les officiers allemands qu’il servait chaque soir. Cette tension entre conscience et survie, convictions et gestes du quotidien irrigue tout le roman.

✓ Le poids du choix dans une époque cornélienne

Aujourd’hui, il est facile de juger les choix d’hier. Mais faut-il rappeler combien, à l’époque, choisir entre Pétain et De Gaulle était un déchirement, un pari, une prise de risque ? Cela n’excuse pas ceux qui fermaient les yeux sur la déportation, mais replace l’ambiguïté au cœur de la complexité humaine.

L’auteur fait exister un univers — de la veuve Ritz, gardienne de l’aura de César Ritz, aux directeurs, en passant par la mystérieuse Blanche Auzello — sans lourdeur descriptive : les personnages se dessinent en creux, dans les silences, attitudes, regards.

✓ Un roman d’atmosphère et un refus du sensationnalisme

Quant à ce que deviendront les figures citées ou Maier à la Libération, je n’en dirai rien : ce serait vous priver de la découverte. L’auteur évite avec élégance le sensationnalisme.

L’écriture est globalement efficace, documentée, intelligente, mais parfois entachée par des négligences : fautes de concordance des temps, style relâché, expressions anachroniques (« bonjour à toutes et à tous ») qui tranchent avec l’époque. Ce détail mineur nuit à la cohérence, mais ne gâche pas l’ensemble.

✓ Un roman moralement riche à découvrir

Le Barman du Ritz est un roman solide, captivant, à la fois historique et moral, aussi instructif qu’émouvant, qui invite à réfléchir sur la notion de responsabilité dans les heures sombres. Un livre que je recommande très vivement, pour la richesse de son sujet, la finesse de son traitement et la lumière qu’il projette sur ces zones grises que l’Histoire préfère souvent laisser dans la pénombre.

📖 Chronique signée Michel BLAISE, © 2025 – Lecteur Impertinent.



Je préfère les génies aux abrutis. Laurent BRÉMOND.

 

Plongez dans la biographie passionnante d’Anémone, actrice au franc-parler inimitable, à travers les mots de Laurent Brémond. “Je préfère les génies aux abrutis” : une phrase qui résume l’esprit de ce portrait unique


🎤 Une interview rare, donnée peu avant sa disparition, où Anémone revient sans filtre sur son parcours, ses désillusions, et ses combats.



                                     

Plus d'infos sur le livre, sur BabelioICI

« Il n'y a qu'un vrai succès : être capable de vivre ta vie à ta manière » (Christophe Morley)


Ce livre est le fruit d'une rencontre et de la naissance d'une amitié, un jour de circonstance et de hasard, dans un petit village des Deux-Sèvres à la terrasse d'un café, entre Laurent Brémond, réalisateur documentariste et Anémone.


Il voulait un instant poser la caméra ; depuis longtemps, elle désirait rédiger ses Mémoires - « Un projet suspendu parce qu'elle n'a pas été satisfaite des coauteurs rencontrés » (P.38).


À la fin de l'année 2017, Anémone mettait définitivement un terme à sa carrière professionnelle. Elle exprimait un point de vue très critique et dépité sur l'avancement et l'évolution du monde et, plus particulièrement, sur celui de l'industrie du spectacle.

« « — Tu m'aides à faire ma biographie, tu pourras l'adapter en film puisque tu en seras l'auteur ». Je reçois sa proposition comme un honneur, mais elle me bouscule… Mon stylo, c'est ma caméra… Une nuit de réflexion… Je réaliserai sa biographie, j'écrirai le film de sa vie. » » (P.39.40).


Le temps faisant son œuvre - incorrigible fumeuse - l'actrice s'éteint avant la parution. Elle n'assistera pas au dernier spectacle dans lequel elle joue, pour le coup, son propre rôle. C'est ainsi que sont nées les confidences inédites et posthumes d'Anémone à Laurent Brémond « Je préfère les génies aux abrutis » (Robert Laffont, 2021).


Au fond, qu'importent les admissibles imperfections de la biographie-Mémoires d'Anémone. Cet ouvrage est imprégné d'intentions, d'instincts, de sentiments ou encore de points de vue débordant de sincérité que ce genre de littérature délaisse, de plus en plus, au profit d'une nouvelle génération « d'écrivains » hâbleurs et égotistes - considérant que l'on n'apprécie pas la qualité d'un livre aux opinions qu'il véhicule, mais à l'honnêteté et la loyauté de son auteur.


Laurent Brémond, avec pudeur et une remarquable intelligence, a parfaitement réussi à montrer le véritable visage - certainement ignoré - de la jeune fille des années 68, « sa période hippie et écolo », assumée et revendiquée, abdiquant un milieu favorisé pour s'aventurer vers d'insensées et diverses pérégrinations jusque dans la « pampa mexicaine », puis sur les chemins incertains du spectacle, courant les cachets et les cabarets.


Ensuite, l'heure du succès, les premiers grands rôles, « le père Noël est une ordure, 1982 » « le grand Chemin, 1987 » (César de la meilleure actrice, 1988).


Enfin, deuxième enseignement d'une détermination inflexible, le délaissement résolu de sa famille professionnelle et du succès qui lui devinrent irrémédiablement insupportables. À la faveur de ce récit – Mémoires, Anémone se confie, sans pudeur, sur ces questions à Laurent Brémond. Avec un style et une verve truculente et non feinte, souvent impertinente, elle évoque des sujets très politiques qui lui importent à l'extrême : la société de consommation, le libéralisme, « l'exploitation capitaliste », l'écologie, ….


Il ne s'agit pas ici d'apprécier la qualité de l'ouvrage à la lumière des opinions radicales et extrêmes d'Anémone, mais du mérite d'avoir mis en valeur une personnalité pareillement drôle que grave, déraisonnable et burlesque que cultivée et intelligente. Anémone, qui ne manquait pas d'humour, parfois cinglant, ne manquait jamais une occasion de conspuer l'argent, la bourgeoisie et le capital tout en se plaignant de trop payer d'impôts, de manquer de moyens, et de se réjouir auprès de Laurent Brémond, à propos de ce livre à paraitre : « on gagnera plein de thunes… » À défaut de toujours parler du « Capital », elle aurait peut-être dû s'en constituer un…


À croire que même les génies ont leurs propres contradictions…


Au cœur de l'ouvrage, Laurent Brémond a interposé quelques photographies d'Anémone. L'une d'entre elles retient plus particulièrement l'attention (P.121). Pas seulement parce qu'elle montre combien Anémone était belle. Laurent Brémond résume en quelques mots de légende peut être l'essentiel :

« Les médias ont souvent résumé Anémone à l'image d'un clown, d'une actrice de comédies. Mais elle avait de nombreuses cordes à son arc, des talents multiples et un tempérament plus tourmenté qu'il n'y paraissait ».


Michel BLAISE © 2021

L'Attrape-cœurs – J.D. Salinger

 

Portrait d’Holden Caulfield, personnage principal, sur la couverture du roman L’Attrape-coeurs – belle nouvelle édition


 


✍️ « Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été. » (Albert Camus — Le Mythe de Sisyphe)

 📌  Il voulait juste attraper les enfants avant qu’ils tombent. En chemin, il a glissé lui-même.

✓ Une chronique signée Lecteur Impertinent

L'Attrape-cœurs, publié en 1951 par J.D. Salinger, s'ouvre sur le récit d'Holden Caulfield, un adolescent au parcours chaotique qui vient d'être renvoyé de son énième école.

Avant de rentrer chez ses parents – dont il redoute la réaction face à la lettre de renvoi – Holden choisit de s'échapper quelques jours dans les rues de New York.
Ce périple, à la fois extérieur et intérieur, nous plonge dans un regard à la fois intime et universel, à travers la voix d'un garçon au bord du basculement.

Ce roman, sans aucun doute, autobiographique, se déploie dans une langue directe, brute, fidèle au parler des jeunes des années 50. Ce style, simple en apparence, mais terriblement efficace, a traversé les générations pour devenir un véritable emblème de la révolte adolescente.

✓ Humour, gravité… et lucidité adolescente

Ce qui m'a particulièrement plu, c'est que malgré la gravité souvent palpable du propos, l'humour affleure à chaque page : les réparties de Holden sont à la fois caustiques et drôles, parfois même à mourir de rire, ce qui donne à l'ensemble une légèreté bienvenue et un souffle profondément humain.

À cet égard, contrairement à ce qu'on lit fréquemment, je ne qualifierais pas Holden Caulfield de misanthrope. Son rejet ne s'adresse pas à l'humanité en général, mais au monde adulte, qu'il perçoit comme hypocrite, insensible et généralement menaçant.

On pourrait presque dire qu'il développe une forme d’anthropophobie ciblée, une sorte d’allergie à ce passage à l’âge adulte. Son contact avec les adultes lui est si difficile qu’il en devient  pathologique.

En revanche, son regard est tendre et protecteur envers les enfants, ce qui donne une dimension poignante à son personnage.

Cette opposition souligne le cœur même de l’œuvre.

✓ Une métaphore bouleversante : retenir l’innocence

Le titre du roman s'explique parfaitement par cette métaphore tirée du poème écossais Comin'thro' the Rye de robert burns.

Holden s'imagine gardien d’enfants jouant dans un champ de seigle au bord d'une falaise, prêts à tomber dans le vide s'ils ne sont pas retenus.

Cette image exprime son désir intense d'empêcher l'innocence de disparaître, de retenir les enfants au seuil d'un monde adulte qu'il redoute et rejette. C’est une métaphore aussi simple que poignante, qui éclaire toute la portée du récit.

✓ Un roman, mais aussi un document d’époque

Ce que j'ai également trouvé passionnant, c'est sa capacité à mêler tendresse, fantaisie, humanité et vitalité. Bien que L'Attrape-cœurs demeure un roman, il a aussi une dimension documentaire : il nous plonge dans une époque, un contexte social et culturel très précis.

J.D. Salinger ne se contente pas de raconter une histoire : il cherche aussi à émouvoir, choquer, témoigner, dénoncer.

Cette richesse donne au texte une profondeur rare.


C’est passionnant.

✓ Camus et Salinger : une même révolte sourde ?

Un parallèle s’impose.

La révolte silencieuse et la quête de sens de Holden Caulfield m’ont rappelé l’œuvre d’Albert Camus.

Tous deux incarnent cette interrogation fondamentale face à un monde qui semble absurde, un refus d’accepter le simulacre et la superficialité.

Dans cette perspective, L’Attrape-cœurs est un roman à la fois personnel et universel, une œuvre qui questionne l’existence sans jamais perdre de vue la complexité des émotions humaines.

✓ Une phrase qui reste

Il y a cette phrase, extraite de la toute dernière page, que je trouve d'une justesse bouleversante :

« Faut jamais manquer à personne. Si on le fait, tout le monde se met à vous manquer. »

Ce constat simple révèle toute la solitude d'Holden, mais aussi son attachement fragile aux autres, même s’il ne le montre pas toujours.

✓ À lire absolument

En résumé, L'Attrape-cœurs est un roman incontournable, indispensable, un classique qui continue de parler à toutes les générations.

Il m'a touché par sa sincérité, sa puissance narrative et son humanité.

📚 Je le recommande chaleureusement à ceux qui cherchent une lecture profonde, drôle, et pleine de vie.

📖 Chronique rédigée par Michel BLAISE, © 2025  Lecteur Impertinent Roman L’Attrape-cœurs – J.D. Salinger (1951)