mercredi 16 avril 2025

La promesse, Friedrich Dürrenmatt

                                 




" Le crime est toujours une énigme et le châtiment toujours une erreur" 
   Albert Camus (Lien)


Dans "La Promesse", Friedrich Dürrenmatt, nouvelle traduction aux éditions Gallmeister (2023) nous immerge dans un univers où les dilemmes moraux et les choix impossibles constituent l'ossature du récit. En écho à la citation d'Albert Camus, aussi troublante qu’éloquente, l’auteur interroge en profondeur la nature humaine et les décisions qui l’engagent souvent au prix de sa propre cohérence. Le commissaire Matthäi, figure centrale du roman, se retrouve ainsi lié par une promesse faite à la mère d’une fillette assassinée : retrouver le meurtrier, coûte que coûte. Une promesse tenue avec une ténacité qui flirte avec l’obsession, quitte à le mener, inexorablement, à sa propre perte.

Friedrich Dürrenmatt excelle à bâtir une atmosphère pesante, presque claustrophobe, où chacun des protagonistes semble hanté par ses propres ombres. Le commissaire, mû par une volonté farouche de justice, s’engage dans une quête où la vérité se dérobe à mesure qu’il croit s’en approcher. C’est un véritable labyrinthe de faux-semblants et de silences coupables qu’il arpente, et dans lequel les repères traditionnels du bien et du mal s’estompent jusqu'à ne plus offrir que des zones grises.

Ce qui rend "La Promesse" aussi captivant qu’inquiétant, c’est cette spirale implacable dans laquelle l’auteur entraîne le lecteur. Suspense, angoisse, désillusion : chaque page creuse davantage l’abîme psychologique dans lequel les personnages, et avec eux le lecteur, se débattent. Derrière les ressorts apparents du polar, Dürrenmatt propose une réflexion plus vaste, plus vertigineuse, sur la culpabilité, la responsabilité et cette quête de rédemption qui, chez certains, devient une damnation silencieuse.

Par touches successives, à travers des personnages aussi tourmentés que crédibles, l’auteur nous pousse à interroger la justice elle-même – non pas comme institution, mais comme idée. Qu’est-ce qu’être juste ? Jusqu’où peut-on aller pour tenir une promesse ? Et surtout, que vaut la vérité dans un monde dans lequel le hasard se joue des intentions humaines ? Dürrenmatt ne propose pas de réponses, il ouvre des failles.

"La Promesse" dépasse ainsi largement les codes du thriller. C’est une tragédie moderne, où le destin semble prendre un malin plaisir à contrecarrer les volontés les plus sincères. Le roman devient alors un miroir sombre de la condition humaine, tendu vers cette promesse funeste qui, loin d’apaiser, consume.

L’écriture, dense et tendue, épouse parfaitement la gravité du propos. Chaque mot parait pesé, chaque phrase tendue comme une corde prête à rompre. Friedrich Dürrenmatt manie l’art du récit avec une rigueur qui confine à la précision chirurgicale, tout en laissant filtrer une émotion sourde, contenue, presque désespérée. Son style, à la fois sec et vibrant, donne à lire non seulement une histoire, mais une tension continue, une inquiétude permanente.

Les retournements de situation sont dosés avec une science du rythme remarquable. Rien n’est gratuit, tout participe à la montée dramatique, jusqu’à ce dénouement saisissant, d’une ironie cruelle, qui force le lecteur à revoir sous un nouveau jour l’ensemble du récit. Cette fin, qui prend à revers les attentes du genre, confère à l’ouvrage une portée philosophique rare : une sorte de désaveu du mythe du héros, broyé ici par l’absurde.

"La Promesse" s’impose donc non seulement comme un grand roman policier, mais comme une œuvre à part entière dans le paysage littéraire du XXe siècle. Dürrenmatt y déconstruit les illusions, déjoue les schémas narratifs attendus, et transforme une intrigue criminelle en fable noire sur l’orgueil, la foi aveugle et la tragédie du sens.

Une lecture bouleversante, indispensable à quiconque aime être saisi, non seulement par le suspense, mais par une interrogation plus large sur le sens de nos actes et sur les forces, visibles ou non, qui les gouvernent.

Bonne lecture.

Michel BLAISE © F.D.L (fureur de lire)

mardi 15 avril 2025

Nébuleuse des écorchés, Grégoire Domenenach


                            #LittératureFrançaise (Grégoire Domenach)


Dans le paysage littéraire contemporain, où les étoiles semblent parfois lointaines, "Nébuleuse des écorchés" de Grégoire Domenach brille d’un éclat singulier. Publié par les Éditions L’Harmattan en 2013, ce roman est un bijou méconnu, une pépite qui mérite une place de choix dans la bibliothèque de tout amateur de littérature profonde et réfléchie.

 

L’histoire nous entraîne dans les méandres de l’existence de Mermoz et Baryton, deux êtres écorchés par la vie, dont les chemins se croisent sur les rives d’une rivière polluée. C’est dans ce décor que Domenech tisse une toile de relations humaines, explorant avec finesse les thèmes de l’amitié, de la solitude et de la résilience. Le style de l’auteur est remarquable, alliant une prose poétique à une acuité psychologique qui donne vie à ses personnages avec une intensité rare.

 

Grégoire Domenech, encore trop peu connu du grand public, est un véritable artisan des mots, dont le talent n’a rien à envier aux grandes figures de la littérature. Son œuvre, "Nébuleuse des écorchés", est un appel à la lecture, un cri du cœur qui résonne longtemps après avoir tourné la dernière page. C’est un livre à lire, à partager, à discuter : un ouvrage qui interpelle et qui, sans aucun doute, marque profondément son lecteur.

 

En somme, "Nébuleuse des écorchés" est une œuvre exceptionnelle, qui se distingue tant par la qualité de son écriture que par la profondeur de son propos. Elle nous invite à regarder au-delà du caniveau de notre quotidien, à chercher les étoiles qui illuminent l’obscurité de nos vies. Il est grand temps que ce roman trouve le chemin d’une reconnaissance plus large, car il incarne ce que la littérature a de meilleur à offrir.

          Michel BLAISE ©  F.D.L (fureur de lire)

lundi 15 janvier 2024

Thérapie, Sébastian Fitzek



Triller psychologique




Thérapie de Sébastien Fitzek (L'archipel, 2008) est un thriller psychologique qui raconte l'histoire de Viktor Larenz, un célèbre psychiatre dont la fille Josy a disparu mystérieusement sans laisser de traces. Quatre ans plus tard, il reçoit la visite d'une femme énigmatique qui prétend souffrir d'une forme rare de schizophrénie : les personnages qu'elle crée pour ses livres prennent vie. Or, dans son dernier roman, il y a une petite fille qui ressemble à Josy et qui a la même maladie inconnue. Viktor accepte de la soigner, espérant retrouver sa fille, mais il va se retrouver pris dans un engrenage infernal où la réalité et la fiction se confondent.

À ma connaissance, il s'agit du premier roman, édité, de l'auteur. S'il est incontestablement original et passionnant – il a obtenu, lors de sa parution en Allemagne, le prix du meilleur thriller –  pour autant, il a un défaut majeur. Il ne s'agit pas de la fin du roman – très choquante et bouleversante, qui remet en cause tout le roman -, qui m'a posé questions, mais les travers d'un scénario parfois confus et d'initiatives scénaristiques à la frontière du « deus ex machina », et donc un peu trop tiré par les cheveux.

Quoi qu'il en soit, c'est un roman qui ne laisse pas totalement indifférent, et qui joue avec les nerfs du lecteur jusqu'à la fin. On perçoit, avec ce premier roman, de très grandes aptitudes d'auteur de Thrillers psychologique.

Michel BLAISE ©  F.D.L (fureur de lire)




 
          Sebastian Fitzeks Die Therapie - Teaser | Prime Vidéo



Brûlant secret, Stefan Zweig




           

                                     Littérature germanique - Nouvelle


Brûlant Secret, de Stefan Zweig, est un tourbillon d'émotions continue.



Une station thermale paisible devient le théâtre d'un drame intime. La nouvelle s'ouvre sur une jeune garçon, Oscar, en convalescence et sa mère, Mathilde. La quiétude d'Edgar est perturbée par la présence d'un homme mystérieux, objet de l'attention obsessionnelle de Mathilde.


Ce récit introspectif explore les tourments émotionnels résultant de passions refoulées, créant une tension palpable au sein de l'environnement feutré de la station thermale.


"Brûlant Secret" se distingue par la finesse psychologique de Zweig, qui sonde les méandres de l'âme humaine avec une délicatesse remarquable. L'auteur expose subtilement les conflits intérieurs de Mathilde, réprimant des émotions ardentes sous une façade de retenue sociale. L'intrigue, centrée autour de l'homme énigmatique, explore la nature complexe du désir, du regret et de la quête de connexion humaine.

Entre la source et l'estuaire, Grégoire Doménach

 



                                                 Littérature française


"Le désespoir, comme l'absurde, juge et désire tout, en général et rien, en particulier." (A. Camus)



"Entre la source et l'estuaire", (Le Dilettante, 2021 ; pour l'édition de poche, 2023) est un roman de Grégoire Domenach.


Le narrateur-personnage convoie, avec son père, des pays-Bas vers le centre de la France, un bateau avec l'espoir de trouver un acquéreur. C'est leur métier.


Au terme de quelques semaines de navigation – les pays-Bas, la Belgique, les Ardennes, le Rhin – ils jettent l'ancre dans une petite commune, un village du Doubs.


À l'unique estaminet local, le narrateur croise un balafré taiseux, aigri et solitaire, qui semble porter un passé bien trop lourd.


Troublé et curieux, le narrateur intrigue pour percer à jour le mystère de cet homme, dans le sillage de la succession de sous-entendus et "messes basses" qui le suivent comme une ombre.

mercredi 19 octobre 2022

Choi JOE- HOON, Sept yeux de chat


                                                Littérature Coréenne 


(Chronique à venir)

Monsieur Han, Hwang SOK-YONG



  

                                                    Littérature Coréenne 


"La perfection est un chemin ou une fin" (Proverbe coréen)


Il n'est guère d'auteurs qui savourent en Corée du Sud d'une popularité semblable à celle de Hwang Sok-yong : l'impression de ses ouvrages atteignait souvent des records à faire pâlir Virginie Despentes, et plus particulièrement, « Monsieur Han » adapté pour le plus grand plaisir des spectateurs de même qu'il est l'un des ouvrages le plus traduit dans le monde, deux sont en cours de traduction.



Mais que recèlent cette célébrité et l'œuvre de l'auteur ? Hwang Sok-yong, depuis qu'il est étudiant, s'est énergiquement battu pour de la liberté durant l'absolutisme militaire, qui a finalement fléchi à l'abord des Jeux Olympiques de Séoul de 1998), après avoir dévoilé les conditions faites aux salariés par des patrons peu regardants aux droits élémentaires humains. Pour cela, il a été emprisonné et a payé un lourd tribut.


Mais Hwang est, avant tout, un romancier. Et quel romancier ! Le roman « Monsieur Han » est un chef-d'œuvre de littérature.


Hwang Sok-yong est né en 1943 à Zhangshun en Mandchourie, alors colonie japonaise tout comme la Corée. C'est là que son père a entraîné sa famille originaire de la province du Hwanghae (aujourd'hui en Corée du Nord) pour y chercher fortune. Très tôt, il est témoin des bouleversements qui secouent le pays : la Libération et le chaos qui a suivi, la famille s'installe d'abord à Pyongyang puis, en 1947, à Séoul, la guerre de Corée de 1950 à 1953, et, bien entendu, la division du pays.


C'est dans ce contexte que l'auteur utilise le crayon et que son talent et son aptitude pour l'écriture s'ouvrent telle une rose.


"J'ai grandi en écoutant ma mère me raconter des histoires à longueur de journée. Elle avait bénéficié d'une éducation moderne. Je lisais les classiques qu'elle achetait pour moi. À l'école, pendant la récréation, je racontais à mes camarades ce que j'avais entendu ou lu à la maison. Eux, ils aimaient bien mes histoires. C'est à ce moment que j'ai dû comprendre que, pour inventer une histoire, il fallait y mettre des souvenirs et de l'imagination. L'enfant que j'étais avait passé beaucoup de temps à rêver seul. Au cours de ces rêveries, je m'efforçais de reconstituer les événements que j'avais vécus quand j'avais trois ou quatre ans. C'était comme si je démêlais les fils embrouillés d'une pelote de laine. Ces événements, je les fixais ensuite en images dans ma mémoire pour les conserver précieusement. Par exemple, le moment où nous avons passé le 38ᵉ parallèle, c'est, dans ma mémoire, une promenade pour aller en pique-nique. Les champs étaient couverts de fleurs d'astragale et de roseaux de Chine : portant chacune un sac à dos, mes sœurs marchaient un peu à l'écart de ma mère qui me portait sur son dos. Elle me disait tout bas – je me souviens encore de la tonalité de sa voix – de ne pas faire de signes à mes sœurs, car il ne fallait pas qu'on nous soupçonne d'être en train de fuir aussi. Cette scène est restée gravée dans ma mémoire, mais pas dans celle de mes sœurs, pourtant beaucoup plus grandes que moi"… « Herbes folles »


La guerre de Corée a très largement inspiré le livre de Monsieur Han. C'est un ouvrage extrêmement célèbre en Corée, autant que Madame Bovary de Flaubert ou L'Étrange de Camus.


Mais de quoi s'agit-il ? : à la Libération, Soviétiques en 1945, les Américains sont chargés au nord du 38ᵉ parallèle et au sud de désarmer les forces japonaises vaincues et d'organiser des élections pour élire un gouvernement qui serait placé à la tête du nouvel État fédérant les deux moitiés du pays. Mais Les élections ne se tiennent pas, et on se récupère deux gouvernements et deux États. le 25 juin 1950, les troupes du nord déferlent sur le sud et prennent Séoul puis la quasi-totalité du pays. Les volontaires chinois interviennent à Séoul de nouveau. L'armistice est signé le 27 juillet 1953, laissant quatre millions de victimes, un pays dévasté et plus divisé que jamais.


Han Yongdok, le protagoniste du roman, est professeur de médecine, spécialité obstétrique, à l'hôpital universitaire de Pyongyang quand la guerre éclate. Lui et deux de ses collègues deviennent vite suspects aux yeux de la hiérarchie communiste pour leur manque d'entrain idéologique.
Le doyen était un ancien officier des services de santé de l'armée soviétique. Il était venu à Pyongyang, envoyé par Moscou. Dès son arrivée, il avait quitté l'uniforme pour adhérer au Parti. Ceux qui, comme lui, avaient porté l'uniforme inspiré de l'Armée Rouge s'étaient, à leur retour, emparés de postes de commandements, bien qu'ils fussent ignorants des institutions de leur pays. Si bien qu'ils imposaient chez eux un mode de fonctionnement calqué sur celui de l'Union soviétique, ce qui facilitait la mainmise de cette puissance. Les gens compétents, en revanche, et les vrais, mais obscurs patriotes qui, eux, n'avaient pas quitté le pays, se montraient trop critiques pour se voir offrir des responsabilités. Plus le temps passait et plus le pouvoir durcissait ses positions, les préparatifs de la guerre lui donnant de nouvelles raisons de se faire plus coercitif. le doyen de la faculté ne manquait jamais une occasion de rappeler qu'il avait, lui, suivi la voie royale, c'est-à-dire l'Armée Rouge, tandis que les communistes coréens qui étaient passés par la Chine n'avaient appartenu là-bas, dans le meilleur des cas, qu'à un corps de réservistes. du haut de ses trente ans et de la grandeur que lui conférait sa formation moscovite, il crachait son mépris à la figure de professeurs pourtant de dix ans ses aînés. Quelle meilleure façon de signifier à ces hommes du passé qu'ils ne serviraient que jusqu'au moment où de plus jeunes, plus combatifs et idéologiquement sûrs, seraient en mesure de les remplacer à l'université ? Il ne manquait jamais l'occasion de stigmatiser leur absence de véritable engagement et les accusait constamment d'avoir des penchants bourgeois.


Mais au lieu de soigner les malades, à l'Hôpital du Peuple, Han ignore les ordres qui lui ont été donnés, soigner uniquement les cadres du Parti et les soldats de l'Armée du Peuple, il s'occupe aussi des gens ordinaires. Condamné à mort pour incivisme, il échappe par un hasard extraordinaire au peloton d'exécution.


Arrivé au sud, il se heurte aux désordres provoqués par la guerre, la corruption étant devenue récurrente, mais il en souffre davantage que les autres, car il tient à son intégrité. Il tombe dans le piège tendu par de faux médecins peu scrupuleux, et surtout, il devient très vite la proie de la suspicion délirante qui s'est emparée. Il mourra dans la misère.


Sa mère avait toujours désiré retourner au nord, elle avait acquis la certitude qu'elle ne le pourrait pas. Elle est morte peu après.


Il y aurait tellement de choses à dire sur Hwang Sok-yong, la Corée du Sud et la littérature de ce pays, que j'engage vivement les lecteurs de cet avis à débuter par la biographie de l'auteur et l'ouvrage de monsieur han, un chef-d'œuvre absolu.