📌 Un roman au cœur de l’ambiguïté morale
Le Barman du Ritz, de Philippe Colin, publié chez Albin Michel en 2024, place la question du jugement moral à travers le prisme de l’Histoire au centre de son récit. Il était audacieux de consacrer un roman à Franck Maier, barman ashkénaze, resté plus de quarante ans dans ce haut lieu du luxe parisien, le Ritz. Juif dont l’identité était soigneusement dissimulée, ignorée tant par les officiers allemands que par ses collègues français, il devient le témoin discret mais incontournable d’une époque troublée, notamment durant l’Occupation allemande.
Cette immersion originale et réussie permet au lecteur de croiser des figures emblématiques — Sacha Guitry, Arletty, Gabrielle Chanel, entre autres — sans jamais tomber dans le name dropping. Ce n’est pas un catalogue de célébrités mais une plongée feutrée et incisive dans les coulisses du Ritz, où la Wehrmacht a établi son quartier général, où le champagne coule alors que Paris est enchaînée, et où l’ambiguïté morale prend tout son sens.
✓ Entre culpabilité et survie : le dilemme de Franck Maier
Contrairement aux artistes évoqués, dont la posture passive n’empêchera pas le jugement à la Libération par les tribunaux populaires, parfois improvisés des FFI, Franck Maier n’est ni totalement coupable ni complètement innocent. Il fait partie de ces personnages pris dans la nasse de l’Histoire, dont le parcours interroge longtemps après la dernière page. S’il a aidé discrètement des Juifs via un réseau de faux papiers organisé depuis son bar, il n’a pas rompu ses relations polies — voire amicales — avec les officiers allemands qu’il servait chaque soir. Cette tension entre conscience et survie, convictions et gestes du quotidien irrigue tout le roman.
✓ Le poids du choix dans une époque cornélienne
Aujourd’hui, il est facile de juger les choix d’hier. Mais faut-il rappeler combien, à l’époque, choisir entre Pétain et De Gaulle était un déchirement, un pari, une prise de risque ? Cela n’excuse pas ceux qui fermaient les yeux sur la déportation, mais replace l’ambiguïté au cœur de la complexité humaine.
L’auteur fait exister un univers — de la veuve Ritz, gardienne de l’aura de César Ritz, aux directeurs, en passant par la mystérieuse Blanche Auzello — sans lourdeur descriptive : les personnages se dessinent en creux, dans les silences, attitudes, regards.
✓ Un roman d’atmosphère et un refus du sensationnalisme
Quant à ce que deviendront les figures citées ou Maier à la Libération, je n’en dirai rien : ce serait vous priver de la découverte. L’auteur évite avec élégance le sensationnalisme.
L’écriture est globalement efficace, documentée, intelligente, mais parfois entachée par des négligences : fautes de concordance des temps, style relâché, expressions anachroniques (« bonjour à toutes et à tous ») qui tranchent avec l’époque. Ce détail mineur nuit à la cohérence, mais ne gâche pas l’ensemble.
✓ Un roman moralement riche à découvrir
Le Barman du Ritz est un roman solide, captivant, à la fois historique et moral, aussi instructif qu’émouvant, qui invite à réfléchir sur la notion de responsabilité dans les heures sombres. Un livre que je recommande très vivement, pour la richesse de son sujet, la finesse de son traitement et la lumière qu’il projette sur ces zones grises que l’Histoire préfère souvent laisser dans la pénombre.
📖 Chronique signée Michel BLAISE, © 2025 – Lecteur Impertinent.
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